Personne ne conteste les compétences et l’expérience de Frank Vandenbroucke, qu’on partage ses objectifs ou non. Il connaît la maison « Affaires sociales » mieux que quiconque : il en a occupé le poste de capitaine il y a plus de 25 ans déjà, et il a mis en œuvre la dernière réforme d’importance du financement, avec la création du Budget des Moyens Financiers en 2002. Alors, comment expliquer ce gros pavé inattendu, lourdement tombé dans la mare ?
Les limitations drastiques aux suppléments d’honoraires et aux souplesses du conventionnement des médecins, annoncées subitement et sans concertation, ont suscité des réactions parfaitement prévisibles : levée de boucliers de l’ABSyM et du Cartel, main dans la main, qui parlent « d’étatisation de la médecine », de déclaration de guerre, menacent de grève médicale, évoquent la loi « Leburton »… Les hôpitaux n’ont pas encore réagi, mais cela ne saurait tarder. Aujourd’hui, les suppléments d’honoraires sont ponctionnés presque partout, à des degrés divers, pour combler les sous-financements patents des hôpitaux, dont on sait en plus que les comptes se sont fortement dégradés ces dernières années, et qui doivent faire face à des contraintes de plus en plus lourdes pour obtenir les financements bancaires de leurs investissements. Ce n’est donc pas qu’une affaire de rémunération des médecins, ce qu’on oublie trop souvent quand on parle d’honoraires médicaux…
Fortes tensions annoncées
Ce coup de tonnerre est aussi particulièrement malvenu au moment où la partie technique de la réforme des honoraires est quasiment terminée et où il va s’agir de lancer les premiers tests d’application en vraie grandeur. Même si l’on a cherché à s’en cacher, c’est le moment critique : quand les spécialités médicales « perdantes » de la nouvelle nomenclature devront accepter des réductions significatives de revenus, et que les hôpitaux devront refaire leurs budgets avec les pourcentages de prélèvement d’honoraires imposés uniformément. Les directions hospitalières prévoient depuis longtemps de fortes tensions entre gestionnaires et corps médical, en fonction des situations, et au sein du corps médical lui-même. Dans ce panorama, les suppléments d’honoraires pourraient bien constituer le seul outil capable de mettre de l’huile dans les rouages. Et la recherche difficile des compromis nécessaires va requérir tout l’art de la concertation dont la Belgique est capable, ce qui semble désormais très mal engagé.
Tout le monde sait que la liberté complète des suppléments, alimentés par les assurances privées dont les primes augmentent chaque année, est condamnée à terme. L’iniquité d’une facturation allant du simple au triple pour les mêmes traitements a été rappelée par Frank Vandenbroucke à la Chambre. Mais ces arguments sont connus depuis longtemps. En quoi justifient-ils une décision autoritaire maintenant ?
On peut imaginer deux réponses : soit le ministre ne croit plus que la réforme des honoraires va aboutir avant de nombreuses années, si tant est qu’elle aboutisse, et il veut marquer son mandat par des mesures alternatives fortes et symboliques sur l’accès aux soins. Ce serait évidemment désastreux. Le cimetière des multiples réformes hospitalières abandonnées subrepticement en rase campagne risquerait de s’accroître d’une tombe de plus. Soit il s’agit d’une maladresse due à son impatience face aux difficultés objectives de réformer un secteur dans lequel les « bricolages » successifs depuis 30 ans transforment chaque mesure en un casse-tête aux conséquences en cascade potentiellement dangereuses. Et dans ce cas, passer en force est sûrement plus dangereux encore, et a peu de chances de provoquer autre chose qu’une crise et un bricolage de plus. Alors que les Réseaux, les « clusters basse variabilité », le nouveau financement des investissements, etc., n’ont créé que des complications chronophages pour les directions des hôpitaux, sans résultats très probants, il faudrait enfin que la priorité soit donnée d’abord à la remise en cohérence de l’organisation du secteur dans le cadre légal existant : sur les agréments, les collaborations entre institutions, les principes de financement, le rôle des instances médicales… avant d’envisager de mettre en œuvre des idées nouvelles.
Il ne faut pas ignorer les médecins
On peut rêver d’avoir un corps médical hospitalier éloigné de la gestion, des employés comme les autres en somme ; et de réformer le secteur à partir d’une « ligne de commandement » unique, comme aux Pays-Bas ou en Scandinavie. L’histoire de la Belgique est différente, pour un bien ou pour un mal, et ignorer les intérêts et les aspirations d’un corps médical qui joue un rôle clé dans les instances des hôpitaux comme dans la gestion de tout le secteur est, au mieux, une erreur, au pire, une faute. A fortiori lorsque celui-ci dispose sans aucun doute de relais politiques puissants au sein du gouvernement fédéral, dans lequel les options du parti du ministre sont, comme on le sait, un peu isolées… Il est encore temps de corriger le tir.
Derniers commentaires
Francois Planchon
11 juillet 2025Compétent... pas vraiment : quand à la fin de l'été 1987 (+/-), il a décidé unilatéralement de diminuer, sans préavis et sans aucune concertation préalable, les remboursements des analyses médicales (- 30 % en une fois !!!), il a précipité vers la fermeture en catastrophe des centaines de petits laboratoires... ruinant pas mal de confrères médecins et pharmaciens... qui ont dû éponger, en changeant d'activité, les préavis de leur personnel et les traites des appareils coûteux qu'ils n'auraient pas acheté si un délais raisonnable et une concertation préalables avaient été prévus !
Seuls ceux qui ont été rachetés par les gros laboratoires, et ceux qui étaient en société qu'ils ont pu mettre en faillite, ont pu échapper à la perte de leur patrimoine et à des années de travail après reconversion pour payer ces dettes...
Evidemment, ceux qu'il a quasi ruiné ne se sont pas mis en avant, préférant rester dans l'anonymat de la discrétion !
Mais combien de biologistes (médecins et pharmaciens) qui avaient planifié un complément pour leur faible retraite d'indépendant, avec un capital, se sont retrouvent actuellement à la retraite avec pour tout bien leur maison d'habitation et leur capital ayant fondu au soleil, leur imposant de vivre avec parcimonie...
Compétent ? Quand on joue avec la vie professionnelle des gens, le minimum est la concertation et des délais raisonnables quand on envisage des réformes structurelles aussi pénalisantes ...
Il a méprisé des pionniers qui s'étaient consacrés au développement des méthodes d'analyse et de détection, apportant à la médecine des moyens de diagnostic et de prévention qui ont sauvé des vies et amélioré le bien-être collectif...
Il faut se rappeler l'époque où , par exemple, les tests de grossesse se faisaient avec des lapins qu'on devait élever dans l'arrière-cour... et où, sans appareils automatiques, les biologistes se levaient plusieurs fois la nuit pour gérer manuellement les processus en cours...
C'est grâce à cette somme discrète d'efforts qu'on a progressivement acquis des moyens modernes de diagnostic, en oubliant les pionniers qui ont développé petit à petit des techniques que nous cochons maintenant dans les cases des demandes d'analyse... sans se rendre compte des efforts cumulés dans le temps pour les mettre à disposition !
Les remboursements permettant à ces "artisans" de vivre, et sur lesquels ils comptaient pour faire fonctionner la PME qu'ils avaient bâti, c'était un contrat tacite entre eux et l'état...
La stabilité de ces contrats est quand même un des fondements de toute démocratie.. non ?
En rompant unilatéralement ce contrat, SANS prévenir et SANS laisser le temps de se réorganiser, l'état a quasi ruiné des prestataires qui aimaient leur métier avec passion, et dont le profit n'était pas la finalité première !
Ruiner ces structures, au profit de grosses structures financières réduites à des logiques d'investissement et de rendement, avec seul objectif des économies d'échelle... est-ce le but ?
Quand une prise de sang est déposée dans une boîte aux lettres relevée une fois par jour, et est enfin analysée après un long trajet en camionnette jusqu'à un gros laboratoire centralisé : les résultats sont-ils optimum ? J'ai bien peur que non...
Oui il fallait réduire les coûts, mais oui il aurait dû procéder dans les respect des prestataires qui avaient consacré leur vie à la mise en place d'un service vital... en leur donnant le temps de s'organiser... et en les prévenant de ne plus investir et d'assurer les préavis par une planification étalée de leur reconversion...
Pour mémoire... et pour réflexion...