Dr Paul Wirtgen: «Passons à la vitesse supérieure en matière de digitalisation de la santé au Luxembourg»

Rencontre avec le Dr Paul Wirtgen (directeur général du Centre Hospitalier du Nord) dans le Grand Duché du Luxemboug, un directeur général convaincu que la digitalisation et le data management sont les clés de voûte d’un système de santé moderne, efficace et transparent.

Géographiquement un peu plus éloigné, le CHdN semble un peu isolé. Est-ce un avantage ou un inconvénient en termes de recrutement, de collaboration, de recherche….?

Je ne dirais pas que le CHdN est «isolé» (sourit). Dans la période pré-électorale, le sentiment que «le Nord du pays est défavorisé en termes d’infrastructures» a été souvent propagé, alors qu’en matière de structures hospitalières, le CHdN, avec ses deux sites modernes d’Ettelbruck et de Wiltz, assure pleinement la prise en charge des patients de la région Nord. Le CHdN est un employeur attractif dans la région et a très peu de problèmes de recrutement. En ce qui concerne les médecins libéraux agréés, un nombre important a été engagé ces dernières années, de sorte que le staff médical s’est bien complété dans toutes les spécialités médicales. La cardiologie notamment comprend une toute nouvelle équipe médicale, dynamique et motivée, intervenant également pour la cardiologie spécialisée interventionnelle à l’Institut national de chirurgie cardiaque et cardiologie interventionnelle (INCCI) à Luxembourg-Ville.

Les collaborations sont donc bien établies avec les autres hôpitaux et avec les établissements spécialisés. Certes, les patients du Nord doivent se déplacer à Esch-sur-Alzette pour des traitements de radiothérapie au Centre Baclesse, mais cet éloignement géographique, dû au choix politique de l’implantation géographique de ce Centre, ne nuit en rien à la collaboration médicale et soignante, parfaitement établie grâce aux concertations multidisciplinaires en oncologie.

De même, le CHdN a développé ces dernières années la collaboration avec l’Université du Luxembourg en offrant de nombreux terrains de stages pour les médecins et soignants en cours de formation.

En conclusion, le CHdN ne vit donc ni un «isolement», ni un désavantage structurel ou géographique, mais est fier de jouer son rôle de Centre hospitalier dédié au Nord du Grand-Duché, rôle qu’il assume 24h/24, 7j/7 grâce à l’engagement de l’ensemble de ses équipes. De nombreux projets sont d’ailleurs en cours pour renforcer ce rôle: accueil pédiatrique en développement à partir de 2024, projet du Centre ambulatoire Schlasskéier à Wiltz, extension-rénovation de services-clé du site Ettelbruck (service des Urgences, chirurgie ambulatoire).

Dans sa vision 2020-2030, la FHL parle de 6 enjeux clés pour améliorer les soins de santé. Il va falloir déterminer les priorités. Est-ce que la digitalisation et le data management ne sont pas les premiers chantiers à ouvrir?

Les différents axes du Livre blanc «Vision 2030» de la FHL se complètent et sont en ce sens tous importants et «prioritaires». En fait, nombreux sont les exemples d’initiatives qui combinent ces différents axes: la coopération entre services spécialisés de différents hôpitaux ou la mise en place de réseaux de compétences (associant acteurs hospitaliers et extra-hospitaliers) créent de nouveaux parcours patients, reposent (partiellement du moins) sur de nouveaux modèles de financement, nécessitent l’échange des données médico-soignantes des patients et analysent l’outcome des prises en charge grâce à un data management.

La digitalisation et le data management ne sont pas des «chantiers à ouvrir», car la digitalisation des établissements hospitaliers est largement avancée depuis plus d’une décennie: tous les centres hospitaliers ont digitalisé leurs processus – il est vrai, chacun avec des logiciels différents (hospital information systems, HIS). Le travail de digitalisation n’est cependant jamais terminé: les évolutions et mises à jour fréquentes des logiciels, l’évolutivité rapide des hardwares et des systèmes sans fil, les efforts toujours croissants en matière de cybersécurité exigent des équipes IT spécialisées de plus en plus étoffées et des budgets de plus en plus importants.

Avec des hôpitaux qui ont chacun développé leur propre système informatique, ne serait-il pas judicieux de les interconnecter au plus vite afin de permettre au patient et à son dossier de circuler et de profiter pleinement des centres de compétence?

L’interfaçage entre systèmes existe déjà, au profit de la prise en charge des patients. Des exemples sont la collaboration entre les hôpitaux et la Direction de la Santé pour le programme de mammographie de dépistage (l’interfaçage étant assuré par LUXITH) ou l’envoi de comptes rendus hospitaliers au Dossier de Soins Partagé (DSP). L’interfaçage pour des données de santé est en fait facile grâce aux standards techniques internationaux en place (HL7 FHIR ou DICOM). Ce qui est difficile par contre est la maîtrise du contexte juridique RGPD, qui doit garantir au citoyen la confidentialité absolue de ses données de santé, et d’en déduire les processus organisationnels et digitaux compatibles avec la loi. «Interconnecter le plus vite possible les HSI» n’est donc pas possible d’un «coup de baguette magique», bien que les standards d’interconnexion existent (comme expliqué ci-dessus) et que tous les hôpitaux, avec LUXITH, emploient déjà le même logiciel (Mirth) pour interfacer leurs données santé.

Un travail important, légal et technique, a été fait pour mettre en place le DSP: le patient y gère avec ses prestataires de santé les données de son histoire clinique et les rend accessibles à d’autres prestataires auxquels il donne mandat. L’échange de données de santé, y compris de données issues d’hôpitaux différents, est donc déjà actuellement possible grâce au DSP.

L’ensemble de l’imagerie médicale réalisée au Luxembourg est archivée par LUXITH (LUXembourg IT for Healthcare), dont vous êtes le président. Ces données peuvent être consultées par tous les médecins, mais il semble que peu d’entre eux l’utilisent. Pourquoi?

Mutualiser les efforts de digitalisation des hôpitaux, et du système de santé de façon plus générale, est un enjeu important. Les hôpitaux et la FHL ont emprunté cette voie en fondant ensemble le GIE (Groupement d’Intérêt Économique) appelé LUXITH, dont les missions sont justement la mise en place de solutions mutualisées pour les hôpitaux. Des exemples en sont le logiciel de gestion des ressources humaines, géré de façon centralisée par LUXITH pour être utilisé dans tous les services hospitaliers, et la solution ANIM, qui constitue en effet, comme vous venez de l’expliquer, l’Archive Nationale d’Imagerie Médicale. Il faut savoir que le partage d’examens d’imagerie médicale contenus dans ANIM se fait via le DSP. Donc le faible taux de consultation des examens d’imagerie par les médecins de ville n’est pas une problématique d’ANIM, mais une problématique d’utilisation du DSP.

La liste des acteurs impliqués dans la digitalisation est longue. En plus des institutions, nous avons l’agence e-santé, LUXITH, les task forces, et les acteurs s’occupant de cybersécurité. Ne serait-il pas plus efficace de concentrer tout cela dans une seule entité, et en particulier e-santé et LUXITH?

Il ne faut pas confondre les missions des différents acteurs!

La task force que le précédent gouvernement avait mise en place et qui regroupait des «hauts fonctionnaires» devait définir une gouvernance pour un projet de digitalisation nationale centralisée de la santé.

L’Agence eSanté a un rôle défini par la loi: mettre en place une plateforme de partage et d’échange de données dans le domaine de la santé (dont fait partie le DSP) et une stratégie nationale d’interopérabilité des systèmes d’informations de santé, qui permettra ainsi aux différents systèmes de santé d’interagir sans heurts. À ce titre, l’Agence a créé ces 10 dernières années des prérequis techniques à l’interopérabilité, utilisés quotidiennement dans les échanges entre les hôpitaux et le DSP.

LUXITH enfin est un GIE créé par les hôpitaux et la FHL pour mutualiser certains grands programmes de digitalisation communs.

Un seul acteur ne pourrait donc «tout faire». Par contre, les compétences et missions des différents acteurs, dans le cadre d’un nouvel élan de digitalisation nationale de la santé, devront être précisées par le gouvernement et, avant tout, par la nouvelle Ministre de la Santé et de la Sécurité sociale. Plus les rôles des acteurs seront clairement définis, mieux les synergies et coopérations pourront continuer à se développer dans ce domaine si complexe de la digitalisation de la santé!

Tous ces efforts de digitalisation ne seront pas pleinement efficaces ni pour les médecins, ni pour le patient, ni pour l’économie de la santé sans un DSP généralisé et utilisé. Le DSP n’est-il pas la priorité absolue?

Avec tout ce que je viens d’évoquer ci-avant, il apparaît comme une évidence que, OUI, le DSP est une priorité absolue! En évoluant vers une plateforme plus conviviale dont l’utilisation sera vraiment généralisée, il remplira tous les «prérequis» légaux (RGPD), techniques (identification des citoyens et des prestataires, interfaçage des données de santé) et fonctionnels (gestion des accès et des consentements) qu’une telle approche nationale nécessite.

Il faut capitaliser sur les travaux réalisés dans ce domaine par l’Agence eSanté depuis 10 ans. Un leadership très clair et déterminé du nouveau gouvernement aidera très certainement à finaliser ce dossier.

L’aide du gouvernement permettra également – je l’espère – d’avancer dans les grands chantiers de digitalisation des prestataires de santé. Car, comme je viens de l’évoquer, les efforts de mutualisation au niveau des hôpitaux nécessitent le déploiement de nouvelles solutions communes et le renforcement de la cybersécurité du secteur. Arriver à mettre en place un seul logiciel de type Health Content Management, constituant le référentiel de toutes les données générées par les hôpitaux (et qui dialogue ensuite avec le DSP) et/ou aider les hôpitaux à réussir un projet ambitieux de migration sur un seul HIS constituent les challenges pour les années à venir. 

> Interview accordée au magazine médical MedinLux n°34 A lire en ligne sur www.medinlux.lu

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