"Le système de financement hospitalier belge a besoin d’une simplification" (Dr P. Maldague )

Le congrès de l’association européenne des médecins hospitaliers (Aemh) s'est tenu vendredi à Bruxelles. 
L'ABSyM y représentait la Belgique. Le docteur Pierre Maldague a rédigé et présenté un rapport relatif à la situation de la Belgique pour l’année 2022.

En ce qui concerne la pandémie au Covid-19, on peut dire qu’actuellement en Belgique nous sommes dans une situation de post crise. On note quand même qu’il persiste un taux significatif de patients hospitalisés en unité de soins et aux soins intensifs. Un à deux décès quotidiens sont encore attribuables au covid-19. Les dernières restrictions (port du masque obligatoire en milieu hospitalier et durant les consultations médicales) ont été levées dans le courant du mois de mars. Au niveau de la population, on est frappé de constater qu’un phénomène d’oubli et de trous de mémoire s’est déjà installé. Sur le plan politique, on observe également que la volonté de refinancement du système de santé et en particulier du système hospitalier, et de renforcement des soins de santé n’a pas été concrétisé si ce n’est dans le secteur des soins infirmiers ou le « fonds des blouses blanches » a permis de revaloriser cette profession non sans effets pervers. 

Au niveau de la population, la période d’austérité qui a accompagné cette pandémie entraîne aujourd’hui une envie de rattrapage en termes de contacts sociaux et familiaux mais aussi en termes de loisirs et de vacances. La volonté de profiter à court terme des joies de la vie est présente dans la plupart des esprits Cette situation est cependant fortement tempérée au niveau des couches économiquement faibles de la population par la crise économique actuelle. Face à cette volonté d’oubli et d’évasion,  il est bien difficile de mettre en œuvre les réformes et de prendre les décisions politiques qui s’imposent en vue d’un refinancement global du système de santé et des hôpitaux.

Au niveau des hôpitaux, la problématique de l’absentéisme et du burnout déjà évoquée il y a un an s’est encore accentuée entraînant un manque sévère de personnel infirmier et paramédical avec les conséquences qu’on peut imaginer en termes d’organisation et de qualité des soins. Nous reviendrons plus loin sur ce problème.

Les deux grandes réformes, initiées par le ministère de la santé,  à savoir la réforme du financement des hôpitaux et la refonte de la nomenclature des actes médicaux, que nous avions évoquées il y a un an, sont toujours en chantier. 

La situation économique générale tant nationale qu’internationale dans un contexte d’inflation importante restreint la marge budgétaire disponible notamment pour le réinvestissement au niveau des soins de santé. En outre l’ambiance politique dans ce secteur est toujours à l’économie plutôt qu’au refinancement. Parmi les objectifs annoncés, l’extension du système de forfaitarisation et l’élargissement des enveloppes budgétaires semblent constituer un nouveau mode, indirect et plus sournois, de restrictions du budget dans un secteur où les économies ont été faites de longue date et  où le sous-financement est criant.  

D’autre part,  le système de financement hospitalier belge a besoin d’une simplification pour permettre à tous les acteurs d’en comprendre le fonctionnement et d’y adhérer de manière positive. Or, il semble que la réforme actuelle ne fasse que complexifier un système déjà kafkaïen. Dans ce domaine, la position de l’ABSYM est avant tout d’effectuer une réflexion en profondeur et de prendre des décisions qui remettent le patient et les soignants au centre de l’hôpital et des soins. « Les ministres passent, les patients et les médecins restent ».

Le second objectif est de préserver l’indépendance et la liberté thérapeutique dans un souci de qualité des soins et de respect du patient.

Le but est également de préserver ou de restaurer la place des soignants dans les prises de décision au sein des structures de gestion et d’administration de l’hôpital toujours dans un souci de qualité des soins et de priorité au patient plutôt que d’objectifs économiques.

Enfin nous voulons revaloriser les prestations médicales, en particulier intellectuelles mais aussi techniques, afin d’assurer des revenus décents et en rapport avec la pénibilité, l’investissement intellectuel et temporel ainsi qu’en rapport avec la prise de risque assumée dans notre domaine. La longueur et la pénibilité des études, la formation continue et l’expérience professionnelle acquise doivent être prises en compte en terme de revenus et de pension. Ceci passe par une réduction des prélèvements des hôpitaux sur les les honoraires des médecins hospitaliers alors qu’actuellement dans certains hôpitaux ils atteignent 40 à 50 %. Nous exigeons, en outre, une transparence et une justification de ces prélèvements et de leur utilisation. Ceci suppose aussi de mettre fin à de nombreuses situations de « faux indépendants » imposées par toute une série d’hôpitaux et qui ont notamment pour conséquence de réduire ou d’amputer toute une série de prestataires de soins des protections sociales auxquelles tout travailleur a droit. 

La réforme de la nomenclature est elle aussi toujours en chantier. Derrière des objectifs déclarés de modernisation, de simplification et de pluridisciplinarité, se cache bien évidemment des objectifs,  clairement budgétaires. Le secteur qui est principalement visé est celui de la médecine à l’acte. Les moyens et les pratiques proposées pour atteindre ces objectifs sans toucher à la qualité des soins et aux services aux patients restent très flous.  La tendance actuelle qui consiste à privilégier les pratiques médicales de groupe de types « maison médicale » et l’activité de consultation intra-hospitalière est, à ce titre, très inquiétante en termes d’avenir des médecins généralistes exerçant de manière autonome et de pratique spécialisées extra hospitalières. Face à cette situation, l’ABSYM réaffirme son attachement à la préservation de l’autonomie des médecins quelque soit leur mode de pratique et à un financement équitable de celles-ci tant au niveau de la médecine générale que de la médecine spécialisée.

La pénurie en personnel paramédical et surtout infirmier s’est encore aggravée au cours de l’année dernière. Le personnel infirmier est sorti épuisé, tant physiquement que psychologiquement, du dernier épisode de la pandémie au covid-19. La reprise de l’activité hospitalière, tant au niveau des actes techniques et chirurgicaux qu’en termes d’hospitalisation n’a accordé aucun répit ou repos à ce personnel. La conséquence immédiate a été une majoration de l’absentéisme, des phénomènes de burnout et d’abandon de la profession. Aujourd’hui,  il existe dans quasiment tous les hôpitaux des services qui n’ont pu rouvrir ou qui ont dû être fermés par manque de personnel. Tous les hôpitaux connaissent une restriction des actes techniques et surtout chirurgicaux par manque d’encadrement infirmier, notamment des salles d’opérations. La situation est à ce point critique que l’on commence à parler dans la presse de baisse de qualité des soins, de complications et d’incidents qui sont à mettre en relation avec la pénurie de personnel et son retentissement sur la qualité des soins, les délais de prise en charge et le report de certaines interventions ou actes techniques. Cette évolution est absolument catastrophique dans un pays qui jusqu’à présent n’a jamais connu de liste d’attente ou d’échelonnement dans la prise en charge thérapeutique des patients.

Par ailleurs, le recrutement de personnel infirmier extra national en particulier dans les pays de  l’Est et autour du bassin méditerranéen, qui a été pratiqué pendant de nombreuses années par les gestionnaires d’hôpitaux avec le soutien plus ou moins tacite du monde politique, est aujourd’hui dans l’impasse totale. Tous les fonds de tiroirs ont été raclés et il n’y a plus de personnel infirmier disponible. Outre que sur le plan éthique le recours à ce type de pratiques est absolument scandaleux et conduit à des situations dramatiques inadmissibles dans ces pays, elle n’apporte à moyens et longs termes aucune solution à un problème qui touche la quasi-totalité de l’Europe.

Ce grave manque de personnel amène de nombreux hôpitaux à recourir à l’intérim ce qui dans un système libéral d’économie de marché n’a fait qu’aggraver la situation en augmentant le coût du personnel à charge des hôpitaux.  On assiste, en outre, à une nouvelle fuite du personnel infirmier vers les sociétés d’intérim qui promettent des conditions de travail et de revenus plus avantageux qui, en fin de compte, sont financés par le budget hospitalier. Il s’installe ainsi un cercle vicieux tout à fait pervers qui alourdit le coût du système de santé mais sans réel bénéfice ni solution à moyen et long terme.

Enfin, la crise économique actuelle et surtout l’inflation galopante des 18 derniers mois ont eu pour conséquence d’alourdir encore la charge financière du personnel soignant. En effet, le système d’indexation automatique qui existe en Belgique, s’il protège les travailleurs, a pour inconvénient d’augmenter la charge des dépenses des employeurs dans un système où les recettes ne peuvent augmenter en suivant le même rythme. Cet autre effet pervers a lui aussi un effet d’emballement et de majoration sévère en termes de coûts hospitaliers dans un secteur où le personnel salarié représente souvent la plus grande partie du budget. Ici aussi, l’intervention du monde politique est indispensable afin de trouver une régularisation qui préserve les avantages sociaux et les revenus des travailleurs tout en restaurant l’équilibre budgétaire du secteur hospitalier dont le rôle fondamental est de soigner les patients au mieux des règles de l’art tout en assurant une qualité de vie aux soignants.

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