« Les hôpitaux vont dans le rouge parce qu’on ne tire pas les leçons de la crise » (Philippe Leroy - CHU Saint-Pierre)

Philippe Leroy tire la sonnette d’alarme : « Il faut une vraie réforme hospitalière. Celle de Frank Vandenbroucke n’est en aucun cas un changement de paradigme de financement et encore moins un refinancement des hôpitaux »

L’heure est grave. Les uns après les autres les directeurs d’hôpitaux en coulisse s’inquiètent pour les finances des hôpitaux en 2022. Le Dr Philippe Leroy, CEO du CHU l’hôpital Saint-Pierre,  tire la sonnette d’alarme : il est temps de mettre en place une vraie réforme qui utilise au mieux les moyens à disposition des hôpitaux.

Vous ne croyez pas dans la réforme actuelle du ministre de la Santé ? 

« La réforme de Frank Vandenbroucke n’est en aucun cas un changement de paradigme de financement et encore moins un refinancement des hôpitaux. On continue vers une logique de rigueur et de rationalisation. Cela fait de nombreuses années que nos budgets ne sont pas indexés. Les charges augmentent mécaniquement pour nous. Les indexations salariales ne sont pas assez financées. »

Le trou s’agrandit un peu chaque mois ? 

« Tant pour le BMF que pour les honoraires, nos coûts augmentent sans être compensés. Par exemple, les honoraires médicaux ont été indexés de 0,7% et on nous dit qu’au 1er juillet, ce serait 2% en plus pour le reste de l’année. Mais dans la réalité, nous avons déjà eu deux indexations salariales et une troisième est planifiée pour la dernière partie de l’année. Les salaires vont donc augmenter de 5 à 7% avec du financement qui augmente de 2%. Mécaniquement, nous sommes plongés la tête sous l’eau et tout cela après une crise covid. »

Vous voulez plus de moyens ? 

« Les moyens sont là, mais il faut les affecter autrement. La réforme de Frank Vandenbroucke ne parle pas du tout d’une réaffectation de moyens... »

Que faire selon vous ?

« Je pense qu’il y a de grandes possibilités d’économie dans les soins de santé qui ne sont pas du tout envisagées dans le cadre de la réforme ou d’autres discussions gouvernementale. Un exemple : Il faut des marchés publics globaux au niveau du pays pour les médicaments et les dispositifs médicaux. On aurait un pouvoir de négociation qui permettrait de gagner des centaines de millions. »

Où pourrait-on encore gagner des millions ? 

«Avec un seul dossier patient informatisé performant et agile pour l’ensemble du pays. Je plaide pour un seul modèle avec une équipe au niveau fédéral avec un cahier des charges pour toutes les institutions de soins. Il n’y aurait qu’une plateforme où l’on stocke toutes les informations de santé pour tous les prestataires et le patient. On a toutes les compétences pour faire cela en Belgique. Cela permettrait d’arrêter le saupoudrage. On pourrait avoir un itsme du dossier patient. IL faut une volonté politique pour un plan de santé digitale ambitieux pour la Belgique. »

Vous avez encore un autre exemple ? 

« Je plaide aussi pour un changement d’état d’esprit et une plus grande responsabilisation des hôpitaux. Le contrôle instauré aujourd’hui est contre-productif. Cela donne un carcan très étroit avec très peu de marge de manoeuvre. Je pense notamment à l’ambularisation des soins. Certains pays sont à 80% et nous sommes qu’à 50%. Pourquoi ? En partie parce que tout est cadenassé. On pourrait dire aux hôpitaux : on vous maintient un budget global pour la prise en charge de patients chirurgicaux chez vous et vous le gérer comme vous le voulez, mais en contrepartie vous devez atteindre un taux d’ambularisation défini dans trois ans. »

Pourquoi ces mesures ne sont-elles pas mises en place ? 

« Il y a en manque de confiance en nous de la part des autorités. Pourtant, la crise a encore montré comme les hôpitaux savent bien gérer les périodes délicates. »

Un meilleur lien avec les généralistes pourrait aussi faire gagner de l’argent ? 

« Evidemment. Les trajets de soins intégrés, par exemple, ne sont pas valorisés dans la prochaine réforme. Nous n’avons aucun incitant pour envoyer un gériatre dans une maison de repos pour faire la liaison et discuter avec le médecin référent. Cela permettrait pourtant de faire des économies, d’éviter des hospitalisations coûteuses et d’avoir une prise en charge beaucoup plus qualitative pour les patients. On manque aussi d’incitant pour collaborer avec d’autres acteurs comme les médecins généralistes pour éviter des hospitalisations ou des examens complémentaires inutiles.»

Que pouvez-vous faire à votre niveau ? 

« A Saint-Pierre, on a un projet de désengorgement de notre salle d’urgence (-15%) au profit de la médecine générale. Mais nous ne recevons pas d’aide et en plus, on va perdre de l’argent en perdant ces 15% de fréquentation....alors que cela ferait des économies pour les finances des soins de santé. C’est pour cela que je dis qu’il ne faut pas nécessairement plus de moyens, mais une meilleure réaffectation des moyens. »

Déçu, désabusé ? 

« Tout cela ce sont des occasions manquées et on ne tire pas les leçons de la crise. » 

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Derniers commentaires

  • Erik FRANCOIS

    16 juin 2022

    - prudence avec le dossier médical informatisé. Imagine-t-on vraiment, après autant d'années d'essais et tant d'argent dépensé, qu'il suffit par miracle au fédéral de pondre le dossier médical parfait (les USA n'y arrivent pas malgré des moyens nettement supérieurs)? Qui plus est, imposé à tout le monde. Croit-on qu'on aura là une économie, et une réactivité, et de l'innovation? Et si comme Vivalia, tout le pays était soumis à une attaque informatique? Paralysie non pas d'un réseau mais du pays? Fausse bonne idée!
    - les hôpitaux semblent engager plus de couches administratives que de soignants. Avec les salaires des qualiticiens, et autres directeurs de ceci et cela, on pourrait améliorer l'IT, engager des infirmières, diminuer la ponction des revenus des médecins. Une part de l'administratif est imposée, certes (travail politique à faire). Une autre part est le nouvel esprit "corporate" des hôpitaux qui dépensent sans compter (semble-t-il) en nouveaux logos, directeurs de communication, développeurs de talent, qualiticiens, accréditations, consultants, salles de bien-être, enquêtes pour savoir pourquoi le personnel est en burnout, etc, etc, etc. Beaucoup d'économies à faire de ces côtés-là.