Commission spéciale Covid: les médecins auditionnés ont jugés très sévèrement la gestion de la crise

"Les dégâts ne sont pas dus qu'au virus lui-même". "La Belgique est encore plus compliquée qu'une lasagne,  c'est un rubik's cube". "Les patients ne sont pas des idiots." Les médecins auditionnés vendredi par la commission spéciale Covid de la Chambre, ont jugé très sévèrement la gestion de la crise du coronavirus par la Belgique.

"La pandémie n'était pas prévisible? C'était évidemment faux. D'autres pays se sont préparés de bien meilleure manière que nous", a lancé le Dr Philippe Devos, président de l'Absym. "Voir que l'on a fait de la stratégie alors que l'on devait être dans l'opérationnel,  c'est incompréhensible pour le terrain", a-t-il ajouté, pointant des "cafouillages" en matière de testing, de traçage, dans le développement de l'application Coronalert, sur les retours de voyage, notamment. "L'élaboration du plan stratégique vaccinal aurait également pu être anticipé dès juillet-août."

"C'était une gestion de crise dès le premier jour", a renchéri le Dr Roel Van Giel, président de Domus Medica.

"Il fallait mettre en place un commissaire corona dès le départ", a estimé pour sa part le Dr Paul De Munck, président du Groupement Belge des Omnipraticiens, déplorant au passage l'absence des représentants des généralistes dans les différents organes consultatifs (RAG, RMG, Celaval, etc.). Pour Philippe Devos, cette absence des médecins dans les organes consultatifs a contribué à la cacophonie et, par exemple, à la multiplication des cartes blanches.

La Belgique ne dispose pas d'une stratégie de développement de la santé publique digne de ce nom, ont aussi déploré les représentants des médecins. "Il en faudrait une à l'échelle de 20 ou 30 ans", a ainsi plaidé Paul De Munck. Pour le Dr Reinier Hueting, président du ASGB-Kartel, il est dès lors nécessaire de "commencer dès maintenant à rédiger un plan stratégique". Pour le Dr. Devos, il faut "avoir le courage de prendre des décisions qui verront leurs effets après un mandat et qui pourraient profiter au mandataire suivant."

Selon eux, la communication vers les professionnels et à la population a également posé problème. "Le morcellement des compétences, c'est la pierre d'achoppement principale", a estimé Reinier Hueting. "Nous avons été assaillis de toute part. Ça ne va pas, il faut une seule source de communication, peut-être alimentée de toute part, mais il faut une seule communication". Selon les médecins, la communication à la population faisait aussi défaut. Le Dr. Thomas Orban, président de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), a ainsi constaté une "absence de leadership et de vision de la communication. On ne peut pas prendre les gens pour des idiots. Les patients ne sont pas des idiots. Ça n'a pas été fait." "On a totalement oublié le rôle du médecin dans l'adhésion de la population", a renchéri Philippe Devos.

Le précédent gouvernement, dirigé par Sophie Wilmès, a aussi été vivement critiqué. La politique de "lean management", menée par Maggie De Block (ex-ministre de la Santé sous la coalition suédoise), "ça marche en automobile, mais pas dans la santé". Roel van Giel de son côté pointé l'absence d'"unité de commandement". "Sophie Wilmès était absente dans le débat public. C'est bien d'avoir des experts, mais les responsables politiques sont restés très absents. C'est incompréhensible." Il a fait part de son "soulagement" de voir arriver un nouveau gouvernement.

Thomas Orban s'est montré extrêmement dur envers l'ancien exécutif. "Dès le mois de février 2020, on est dans un sentiment d'urgence. Et la ministre (De Block) traite les gens de 'dramaqueen', de 'pleurnichards'", a-t-il déploré, indiquant de nombreux courriers étaient "restés dans réponse". 

"Le rubik's cube a subi un crash test, qui n'a pas fonctionné. Ceux qui ont pensé se passer de la médecine générale se sont lourdement trompés", a-t-il conclu.

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Lire aussi :

 "Il faut prendre les mesures avant que les courbes repartent à la hausse" (Domus Medica)

Coronavirus : les gouverneurs insistent sur la mise à disposition des données

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Derniers commentaires

  • Luc MICHEL

    26 janvier 2021

    Merci pour la belle synthèse !
    N’empêche que, comme pour d’autres crises, les mêmes interpellations méritent d’être répétées.
    1. Dans le Royaume de Belgique, pas de véritable culture du risque alors que nos sociétés sont devenues, qu’on le veuille ou non, des « sociétés du risque » comme l’a développé depuis 1986 Ulrich Beck. Rappelons que l’année 1986, c’est aussi celle de l’accident de Tchernobyl, précédant de peu la crise de la Maladie de la Vache folle : une crise du communisme et une crise du capitalisme.
    2. Toujours pas de véritable compréhension, dans le chef de nos politiques et de nombre de nos « experts », de la différence entre risque avéré et risque aléatoire, entre erreur active et erreur latente, entre principe de précaution (permettant – en principe - de prévenir un risque aléatoire) et principe de protection (permettant d’empêcher un risque avéré). Autant de concepts instrumentaux qui, loin d’imposer la patience hégélienne du concept, offrent la possibilité d’avoir un tant soit peu des idées claires en situation d’urgence et/ou d’incertitudes. Un exemple concret : l’évaluation du risque avéré (ie. le virus transmis par aérosols) dans une situation pandémique (ie. risque aléatoire virologique jusque-là mal connu sur le plan sociétal) aurait permis de faire l’impasse sur la ridicule saga prolongée à propos du port ou non de masques.
    3. Alors qu’a-t-il manqué hormis cette méconnaissance de notions élémentaires? Il a manqué l’implication à tous les niveaux d’intervenants capables de faire une chose à la fois directe et responsable, c’est-à-dire des membres d’une espèce de plus en plus rare en politique et en soins de santé ! Des intervenants capables de prendre des décisions dans un contexte d’incertitude. Qui sont-ils dans le monde de la santé ? Ce sont des praticiens qui travaillent sans filet, sans parachute, sans écran qui font écran, sans graphiques et statistiques désincarnées mitonnées dans des tours d’ivoire déconnectées du terrain. Certes, les occupants de ces tours d’ivoire ont leur rôle en période de calme plat, de pilotage automatique ou de cruise control. Mais en situation d’urgence et/ou d’incertitudes, laisser ces brillants esprits seuls aux commandes, c’est équivalent à donner les commandes d’un Airbus A380 au chef de cabine. Et je veux rester objectivement constructif : il peut exister des chefs de cabine férus de console de jeux au point d’être devenu capables de s’en tirer tout seul ! Toutefois, ce serait prendre le risque de faire table rase du principe de précaution devant un tel risque aléatoire d’expertise hypothétique.
    Je repose donc ma question : qu’a-t-il manqué ? Il a manqué l’implication des médecins généralistes en première ligne. En première ligne pour être informés, pour évaluer la situation au niveau du terrain, et pour agir en fonction. Il a manqué aussi dans les cénacles de décideurs bien-pensants (et réfléchissant par nature en vase clos, c’est-à-dire en ayant peu de contact avec le monde extérieur, à l’exception de l’univers de Sciensano) la présence discrète (pour ne pas perturber les têtes pensantes) de quelques spécialistes de la prise de décision dans l’incertitude. Oui, ce type de spécialistes existe. Ils assument même les conséquences de leurs actes, car malheur à eux : ils laissent leur signature sur chacun de leurs patients ! Ce sont les chirurgiens. Un peu de solide bon sens, allié à une faculté de choisir humainement et de décider lourdement dans l’incertitude, n’aurait pas fait de mal. Cela aurait même aidé à moins désincarner l’actuel et galopant caporalisme de santé publique, d’épidémiologie, et de ballottement politique au gré des experts aux savoirs de plus en plus segmentés. Désincarnation, caporalisme et ballottement dont les conséquences vont être (sont déjà !) significatives dans la population.
    4. Dernière interpellation directement corrélative de la précédente : comment sont choisis les experts, comme d’ailleurs les « auditionnés » par la commission spéciale Covid de la Chambre des Représentants ? Poser cette question découvre un peu ce qu’il y a de pourri au Royaume de Belgique. Royaume qui se targue pourtant de vouloir donner des lettres de noblesse à la consultation citoyenne. Il y a quelques années, je m’étais permis de poser publiquement cette question impertinente à un responsable du KCE. La réponse avait été directe, sans retenue réflexive, assénée sur le ton péremptoire du sachant qui sait, et qui daigne s’abaisser à répondre avec condescendance à une question stupide par définition. La réponse fut laconique : choisi par snowball rolling (boule de neige qui roule) !
    L’impétrant ayant obtenu cette explication laconique d’une autorité hypercompétente était, dès lors, prié de s’en satisfaire. Libre à lui, cependant, de constater que le snowball rolling est, en fait (indeed), un cercle vertueux (plutôt vicieux) qui accumule aux experts déjà appointés de nouveaux experts en nombre plus grand, à la manière d’une fonction exponentielle (comme pour le nombre de nouveaux cas lors d’une pandémie). Cette fonction exponentielle (ou fonction géométrique pour faire moins expert) tire sa dénomination de l’analogie avec la boule de neige roulant le long d'une pente couverte de neige. On imagine alors que la boule va grossir de plus en plus au fur et à mesure de son parcours, et ceci de plus en plus vite, ramassant au passage tous les flocons (ie. experts) sans aucun discernement.
    Triste constat pour les véritables experts en culture du risque dans une société moderne du risque.

  • Harry DORCHY

    26 janvier 2021

    Contamination covid : le rôle des écoles est sous-estimé

    La « Belgian paediatric task force » francophone prétend toujours que les contaminations se déroulent en dehors des écoles plutôt qu’au sein des établissements scolaire, avec pour argumentation (RTBF ce 26/01/2021) : « "Quand on regarde les chiffres des deux premières semaines de janvier, fournis par l’ONE, on observe que l’incidence (c’est-à-dire le nombre de cas d’infection par 100.000) est de 49 par 100.000 dans l’enseignement primaire, 87 par 100.000 dans l’enseignement secondaire et 249 par 100.000 dans la population générale. Donc cela démontre bien que les chiffres de contamination dans les écoles sont en deçà de ce qui dans la communauté. Bien sûr, il faut rester vigilant mais pour l’instant, il n’y a pas de quoi s’alarmer".

    Ces chiffres sont largement inférieurs à la réalité puisqu’on ne comptabilise que les cas positifs par PCR chez les enfants symptomatiques. Or les enfants et les adolescents sont le plus souvent asymptomatiques et, comme on ne pratique pas de sérologie IgG/IgM systématiquement, on ignore le nombre d’enfants et d’adolescents positifs pour la covid. Et ces enfants peuvent contaminer tous leurs contacts (camarades, amis, famille).

    Pour connaître la part de la population (pédiatrique ou adulte) infectée par le virus SARS-CoV-2, il faut mettre en place une étude de séroprévalence pour détecter ceux qui ont développé des anticorps. Cet indicateur est indispensable pour surveiller, évaluer et communiquer sur l’épidémie de COVID-19 en Belgique ou ailleurs. Une étude faite au Québec a montré « qu’il y aurait ainsi entre trois et quatre fois plus de personnes qui ont été infectées que d’individus identifiés et déclarés positifs ».

  • Harry DORCHY

    25 janvier 2021

    Certains pédiatres de la « task force » devraient revoir leurs affirmations sur la contagiosité controversée des enfants et adolescents, et sur les mesures à prendre.

    En octobre 2020, la pédiatre immunologiste Isabelle Meyts de la KUL était interrogée dans Knack/Le Vif :
    « Je ne suis pas certaine que les enfants ne soient pas contagieux, comme on le prétend. En automne et en hiver, la plupart éternuent, toussent, et s'ébrouent toute la journée. La littérature scientifique sur le sujet part dans toutes les directions, mais en gros il s'avère tout de même que les enfants transmettent le virus quand ils présentent des symptômes de rhume. Ce n'est pas parce qu'un enfant présente une charge virale plus faible, qu'il ne puisse pas transmettre l'infection quand il tousse ou éternue. C'est comparable aux infections au VSR, une infection virale des voies respiratoires, très fréquente en hiver dans les crèches. Un enfant est contaminé, et très vite, tous les enfants de la crèche sont infectés. Il en va de même pour la grippe et !'adénovirus. Je serais très étonnée qu'il n'en aille pas de même pour le coronavirus ».
    Les sujets asymptomatiques sont aussi contagieux, conclut une étude chinoise conduite à Zhejiang et publiée dans une revue « peer reviewed » (Can Respir J, sep 19, 2020; DOi : 10.1155/2020/2045341). Il faut les dépister. Donc, il faut tester toute la population -pas seulement les cas symptomatiques et les contacts directs, car la plupart de ces derniers sont ignorés faute d'un traçage fiable et complet- et recourir massivement à la sérologie lgM/lgG et pas seulement à la PCR. Et ne pas rejeter les tests sérologiques Zentech par incompétence et/ou calcul politico-linguistique.

    En juin 2020, 2 études contradictoires sont publiées sur la plateforme Medrxiv, ce qui signifie qu'elles n'ont pas encore été vérifiées par des pairs et donc non encore publiées dans une revue scientifique« peer reviewed » :
    - D'après l'équipe du prof Drosten, virologue à Berlin, la charge virale du SARS-COV-2, mesurée par PCR, n'est pas différente dans les catégories d'âge: Kindergarten, Grade school, Highschool, Adults. La conclusion est« there is little evidence from the present studu to support suggestions that children mou not be as infectious as cdults".
    - En revanche, une étude française sous la direction du pédiatre Robert Cohen, conclut que
    les enfants présenteraient moins de risques d'être infectés par la maladie Covid-19, et encore moins de formes sévères, les cas d'infection étant largement asymptomatiques, mais aussi que les enfants seraient beaucoup moins contagieux que les adultes.
    En août 2020, 2 études sont enfin publiées dans des revues« peer reviewed »:
    - Dans Clin lnf Dis (PMID: 32761228), il est conclu: "No significant differences in SARS-CoV-2 RNA loads were seen between children and adults
    - Dans J Pediatr (PMID: 32827525), il est conclu: "This studu reveals that children mou be a potential source of contagion in the SARS-CoV-2 pandemic despite having milder disease or a Iock of surnptorns".
    Si certains pédiatres francophones de la « task force» pédiatrique affirment « la place des enfants et des adolescents est à l'école», c'est une lapalissade, mais à condition d'observer strictement les mesures barrières dans et en dehors de l'école, ce qui n'est pas le cas. . Contrairement à la France, le port du masque n’est toujours pas obligatoire à l’école primaire. Les adolescents sortent des écoles secondaires et, pour ce que je peux en voir, ils ne respectent pas les distances et placent le masque sous le menton pour manger un sandwich et pour fumer les uns à côté des autres. Il n’y a aucun contrôle.
    Dans les écoles, il faut non seulement diagnostiquer les cas positifs asymptomatiques par des tests antigéniques, mais aussi utiliser des tests sérologiques pour les anticorps afin de connaître ceux qui sont immunisés. Idem chez les adultes. Ceci permettra de d'identifier ceux qui ne doivent pas être vaccinés afin de protéger plus vite les autres.
    Actuellement, il est enfin reconnu, tellement c’est évident avec l’arrivée des variants, que l’école est source de contaminations. Des écoles doivent fermer leurs portes. La Flandre, contrairement à la Fédération Wallonie-Bruxelles prend des mesures plus strictes pour le testing, et surveille aussi les activités parascolaires.
    Il vaut mieux prendre simultanément toutes les mesures efficaces, et contrôler leur application sur le terrain, ce qui jugulera la pandémie plus rapidement, plutôt que de conseiller des demi-mesures en se fiant naïvement à la bonne volonté de tous, ce qui prolongera à long terme le manque de liberté et la surmortalité. Pourtant les médecins savent que pour que les antibiotiques restent efficaces, il faut la bonne molécule, à la bonne dose, et pour la bonne durée !
    Et le commerce, les spectacles, les problèmes psychologiques, l'enseignement, etc, se normaliseront beaucoup plus rapidement que si les politiciens adoptent des demi-mesures populistes à court-terme, mais dangereuses humainement à moyen et long-termes.

  • Michel TONDEUR

    25 janvier 2021

    Cette épidémie montre à quel point il s'est révélé désastreux de régionaliser certaines parties de la médecine . Elle a montré à quel point la médecine préventive et la médecine curative sont une seule et même unité . Tant qu'il y a une Belgique, il ne doit exister qu'une organisation centrale de la santé . La seule solution , pour rester démocratique, serait une consultation populaire .
    Michel Tondeur , pédiatre