Les quotas Inami, une saga politique vieille d'un quart de siècle

L'accord annoncé vendredi entre le gouvernement fédéral et la Fédération Wallonie-Bruxelles sur l'introduction dès 2023 d'un concours d'admission aux études de médecine et dentisterie est le énième épisode d'une saga vieille de plus de 25 ans sur le contingentement des médecins en Belgique.

Tout commence en 1996 lorsque la coalition rouge-romaine au pouvoir décide de limiter l'offre médicale en fixant chaque année le nombre de nouveaux médecins qui seront agréés par l'Inami.

 La mesure, dit-on alors, vise à éviter la surprescription de médicaments et limiter les frais de soins de santé.

Les Communautés ayant la main sur la formation supérieure, c'est à elles que revient la charge de faire coller le nombre de futurs diplômés aux quotas fédéraux.

La Flandre s'exécute immédiatement en mettant sur pied dès 1997 un examen d'entrée, qu'elle a transformé en concours d'entrée il y a quelques années déjà.

Côté francophone, on choisira toutefois une autre voie. Arguant des fortes disparités de niveaux entre écoles francophones, la Communauté française rejette toute sélection à l'entame des études médicales qui reviendrait, selon elle, à accepter ces inégalités scolaires.

Elle opte dès lors pour un filtrage des étudiants à l'issue de la troisième année de médecine.     Mais le mécanisme, qui a pour effet de stopper en plein vol des étudiants qui ont déjà réussi trois années d'études réputées difficiles, est rapidement vilipendé de toutes parts.

En 2003, la ministre francophone de l'Enseignement supérieur, Françoise Dupuis (PS), évoquant (déjà) une pénurie de praticiens dans certains régions de Wallonie, abroge le mécanisme.     L'accès aux études de médecine au sud du pays se retrouve ainsi dépourvu de toute entrave, au grand dam des partis flamands qui se sentent floués.

En 2005, la nouvelle ministre de l'Enseignement supérieur, Marie-Dominique Simonet (cdH), réintroduit un mécanisme de sélection. Non plus en fin de troisième candidature comme précédemment, mais à l'issue de la première année d'études cette fois.

Le dispositif donne naissance aux premiers "reçus-collés", ces étudiants qui réussissent leur première candidature mais qui échouent au concours, ce qui les empêche de poursuivre en deuxième année.

Attaqué devant le Conseil d'Etat, le mécanisme est finalement abandonné en 2008, rouvrant à nouveau toutes grandes les portes des facultés de médecine francophones. Conséquence: le nombre d'inscrits en première année va doubler en l'espace de quelques années, alors que l'accès à la profession reste, lui, strictement limité.

Pour permettre aux nombreux diplômés francophones "surnuméraires" d'exercer malgré le numerus clausus, on décide alors de puiser dans les quotas Inami normalement prévus pour les promotions suivantes. Plus de 3.000 numéros Inami ont déjà été attribués de la sorte depuis 2008?

L'opportunité de contingenter les praticiens vire au débat communautaire. Le Nord du pays veut le respect des quotas. Le Sud dénonce, lui, une pénurie sur le terrain, qu'il faut bien souvent compenser par l'engagement de médecins étrangers.

Sous le gouvernement Di Rupo (2011-2014), les socialistes, farouchement opposés à l'idée d'un examen d'entrée, vont même d'inverser la pression: la ministre fédérale de la Santé, Laurette Onkelinx (PS), propose en effet d'assouplir le contingentement fédéral pour plusieurs spécialisations médicales jugées en pénurie.

Mais leurs partenaires flamands, Open-VLD en tête, tiennent bon: pas question de toucher aux quotas Inami!

Les élections de 2014, et l'éviction des socialistes du niveau fédéral, va chambouler le statu quo qui prévalait jusque là.

Quelques semaines après sa désignation, la nouvelle ministre fédérale de la Santé Maggie De Block (Open Vld) se montre déterminée à faire respecter le contingentement fédéral par les francophones. Et elle avertit: sans filtre efficace, elle cessera de délivrer les précieux numéros Inami aux futurs diplômés francophones.

L'annonce jette des centaines d'étudiants en blouse blanche dans la rue à la Toussaint 2014. Jean-Claude Marcourt (PS), ministre de l'Enseignement supérieur, refuse d'abord de limiter le nombre de futurs médecins, toujours au nom de la pénurie.

Mais après plusieurs semaines de bras de fer, le Liégeois annonce que la Fédération Wallonie-Bruxelles introduira bel bien un mécanisme de filtre. Pas en début de parcours toutefois, mais en fin de premier bachelier, comme cela s'était pratiqué dix ans auparavant déjà. 

En échange, tous les étudiants francophones alors en cours de formation son assurés de recevoir un numéro Inami du fédéral.

Voté en juillet 2015, la nouvelle épreuve -qualifiée de "concours-boucherie" par les étudiants- est organisée pour la première fois fin juin 2016. Et comme dix ans plus tôt, elle laisse plusieurs centaines de "reçus-collés" sur le carreau. Lesquels s'empresseront de saisir le Conseil d'Etat qui jugera la procédure non valide en raison, ironie de l'histoire, d'un... contingentement fédéral insuffisamment justifié!

Après plusieurs semaines de suspense, le ministre Marcourt, contraint par différentes ordonnances en référés, donne finalement consigne aux facultés de laisser passer tous les "reçus-collés" en deuxième bachelier... Son filtre n'aura donc rien filtré.

Maggie De Block lance alors un ultimatum: la FWB doit sans délai introduire un examen d'entrée comme le pratiquait alors la Flandre depuis 20 ans, sans quoi elle ne recevra plus de quotas Inami pour ses futurs diplômés.

Le ministre Marcourt a beau dénoncer l'absurdité du numerus clausus fédéral alors que la médecine est officiellement devenue un métier en pénurie en Wallonie, il sait qu'il n'a pas d'autre choix s'il veut garantir l'avenir professionnel de centaines d'étudiants en médecine en fin de parcours.

En quelques semaines à peine, forcé contraint, il rédige un avant-projet de décret instaurant cet examen d'entrée contre lequel les socialistes avaient pourtant tant résisté.

La nouvelle épreuve est appliquée dès 2017, avec des taux de réussite en dessous des 20%. Mais malgré cela, les études médicales connaissent un réel engouement, si bien que le nombre d'étudiants autorisés chaque année à entamer ce cursus est toujours bien supérieur au nombre de numéros prévus pour eux au bout de leurs six années de formation de base?

En 2020, l'accord de majorité de la Vivaldi entend mettre fin à cette situation. Le texte prévoit en effet l'instauration d'un "mécanisme de responsabilisation en cas de non-respect des quotas fédéraux".

La demande du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) formulée à l'été 2021 est claire: il veut que la FWB introduise un "filtre efficace" (un concours d'entrée, ndlr). Sans quoi il imposera lui-même une attestation de contingentement en fin de premier bachelier, et ce sans aucune garantie de numéro Inami pour tous les étudiants actuellement engagés dans la formation.

Après plusieurs mois de négociations discrètes, un accord sera finalement trouvé entre les parties. En échange de l'introduction d'un concours d'admission, la FWB voit le nombre de quotas Inami augmenter dès 2028. Tous les étudiants engagés actuellement dans ces études reçoivent aussi la certitude de pouvoir exercer à la fin de leur cursus.

Lire aussi : Quotas : maximum 744 nouveaux médecins en 2028

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